Néologismes, langues, sociétés et innovations

Aujourd’hui, je m’interroge sur les néologismes, les langues et la capacité des sociétés d’innover. En travaillant dans le domaine des nouvelles technologies, et pour toute personne s’intéressant à ce sujet, il est fréquent que nous soyons confrontés à des nouveaux mots, représentant de nouveaux concepts, nommant des choses qui n’existaient pas, des néologismes.
Dans notre société francophone, ils sont souvent, malheureusement en anglais. Il est très difficile de tenir une conversation de nature «technologique» sans ponctuer son discours d’une grande quantité d’anglicismes. Parfois, j’aimerais utiliser un mot français, mais il n’existe pas.
Je fais alors appel à ce merveilleux outil linguistique francophone qu’est l’Office québécois de la langue française (OQLF) et son merveilleux Grand dictionnaire terminologique (GDT) offert gratuitement en ligne. Mais le GDT est parfois un peu à côté de ses pompes, probablement par purisme, ou est trop lent à réagir. Je vais illustrer mon propos de quelques exemples dans les paragraphes suivants.
Les pompes
Transportons-nous en 2001. Je suis enseignant en design d’interfaces dans le nouveau programme de Techniques d’intégration multimédia au collège de Maisonneuve. Je suis en train de monter un cours sur une technique que Jacob Nielsen (je l’avoue, je suis in disciple de Nielsen, ce qui est peu fréquent chez les designers) appelle «Usability». J’insiste auprès de mes étudiants pour qu’ils s’expriment en français, je dois donc donner l’exemple. Direction GDT pour savoir s’il y a un terme approprié en français. Je lance une recherche sur «Usability» et j’obtiens «Convivialité», flanqué des synonymes «facilité d’emploi» et «facilité d’utilisation». Oups! Il doit y avoir une erreur…
Voici la définition d’«usability» par Nielsen:
. Usability is a quality attribute that assesses how easy user interfaces are to use. The word « usability » also refers to methods for improving ease-of-use during the design process.
. Usability is defined by five quality components:
. •Learnability: How easy is it for users to accomplish basic tasks the first time they encounter the design?
. •Efficiency: Once users have learned the design, how quickly can they perform tasks?
. •Memorability: When users return to the design after a period of not using it, how easily can they reestablish proficiency?
. •Errors: How many errors do users make, how severe are these errors, and how easily can they recover from the errors?
. •Satisfaction: How pleasant is it to use the design?
. There are many other important quality attributes. A key one is utility, which refers to the design’s functionality: Does it do what users need? Usability and utility are equally important: It matters little that something is easy if it’s not what you want. It’s also no good if the system can hypothetically do what you want, but you can’t make it happen because the user interface is too difficult. To study a design’s utility, you can use the same user research methods that improve usability.
Voici celle de «convivialité» qu’en donne Antidote:
. •Goыt pour les repas qui rйunissent plusieurs convives.
. •[SOCIOLOGIE] Ensemble des rapports positifs des personnes d’un milieu social.
. •[INFORMATIQUE] Facilitй d’emploi d’un logiciel, d’un matйriel.
Je m’insurge, je ne comprends pas… Pourquoi a-t-on greffé une nouvelle signification dans les années 2000 à ce vieux mot pour le rendre porteur de nouveaux concepts qui n’ont pas grand-chose à voir avec les significations du mot d’origine? Il aurait été si simple d’«inventer» le néologisme «utilisabilité», un mot vierge de sens qui aurait été apte à représenter les concepts sous-jacents au terme anglais… Mais, que vois-je? Il y a un lien pour faire des suggestions sur lequel je clique Dre là. Cher madame-monsieur OQLF-GDT, bla-bla-bla… J’en profite pour lancer l’idée d’«apprentissabilité» pour représenter adéquatement «learnability», parce que là, le terme proposé est «simplicité d’apprentissage» et que ça dépasse franchement les bornes. Pourquoi faire simple…
Quelque mois plus tard, je reçois un courriel de l’OQLF dans lequel on me mentionne qu’un ajout sera fait, bla-bla… Ye! Je me précipite, heureux de ma modeste contribution et constate que, malheureusement, l’OQLF a raté l’occasion de rectifier le tir. Toujours est-il que depuis ce temps figure sous «Convivialité», le «quasi-synonyme» «utilisabilité», accompagné de la note suivante:
. Bien que souvent utilisй avec le sens de « convivialitй », le terme utilisabilitй a un sens plus large qui correspond а la « capacitй d’un systиme а permettre а ses utilisateurs de faire efficacement ce pourquoi ils l’utilisent ». Afin que le travail soit fait, le systиme « utilisable » doit non seulement кtre facile а utiliser, mais aussi fiable et efficace.
Alors, chers membres de l’association «Utilisabilité Québec», sachez que selon l’OQLF, vous devriez vous nommer «Convivialité Québec»! Ou peut-être «Utilisabilité-quasi-synonyme-de-Convivialité Québec», mais ils doivent savoir mieux que vous, chers professionnels du métier, comment se nomme ce que vous faites… C’est ce qu’on appelle un rendez-vous manqué. J’ai d’ailleurs récidivé, pour la énième fois un courriel pour les inciter (à admettre et) réparer leur erreur (vous pouvez faire de même avec ce lien pour faire des suggestions). C’est normal que le risque de se tromper soit plus grand dans le domaine de la nouveauté, mais il y des limites… on est en 2009 bâzouelle!
La lenteur
Prenons un cas plus récent, Twitter. Ça fait quand même maintenant trois ans que Twitter existe. De phénomène marginal, il est passé peu à peu en vitesse de croisière. En mars 2008, TechCrunch déclare les statistiques suivantes:
. Total Users: 1+ million*
Total Active Users: 200,000 per week
Total Twitter Messages: 3 million/day
La Twitosphère utilise toute une gamme de néologismes anglais tels que «Tweeple», «Twestival», «Twittersphere», «Tweet», «ReTweet»… Quand j’ai vu «Tweeple» je me suis dit «Wow! quel beau néologisme. Que la langue anglaise est capable d’absorber des nouveaux concepts et de générer un nouveau mot… Pourquoi ce n’est pas comme ça en français???» Le GDT nous offre «microblogage» et le verbe «microbloguer». Aisni, doit-on dire je te «remicroblogue» à la place de «ReTweet»? Il me semble que l’OQLF et son GDT devraient faire preuve de plus de «qualités de meneur» (quasi-synonyme(s) «sens du commandement» «qualités de commandement» «qualités d’animateur» cherchez «Leadership» dans le GDT) et prendre l’initiative plutôt que d’être en mode réaction. Nous avons pourtant plusieurs réussites comme le mot «courriel», qui est à mon sens, infiniment supérieur au «mel» français.
Langues, sociétés et innovations
Enfin, en y réfléchissant bien, je me suis dit que ce n’était peut-être pas un hasard si les Américains ont des «Tweeples» et nous des «Persomicroblogues» (ceci est une blague) et que nous prenons autant de temps à réagir. C’est peut-être parce que la société américaine est plus ouverte au changement et à l’innovation et que cela se reflète dans le langage. Cela semble si facile pourtant. On a un nouveau concept à nommer, allez hop! On charcute 2 ou trois mots, on en recolle quelques morceaux ensemble et voilà…

Aujourd’hui, je m’interroge sur les néologismes, les langues et la capacité des sociétés d’innover. En travaillant dans le domaine des nouvelles technologies, et pour toute personne s’intéressant à ce sujet, il est fréquent que nous soyons confrontés à des nouveaux mots, représentant de nouveaux concepts, nommant des choses qui n’existaient pas, des néologismes.

Dans notre société francophone, ils sont souvent, malheureusement en anglais. Il est très difficile de tenir une conversation de nature «technologique» sans ponctuer son discours d’une grande quantité d’anglicismes. Parfois, j’aimerais utiliser un mot français, mais il n’existe pas.

Je fais alors appel à ce merveilleux outil linguistique francophone qu’est l’Office québécois de la langue française (OQLF) et son merveilleux Grand dictionnaire terminologique (GDT) offert gratuitement en ligne. Mais le GDT est parfois un peu à côté de ses pompes, probablement par purisme, ou est trop lent à réagir. Je vais illustrer mon propos de quelques exemples dans les paragraphes suivants.

Rendez-vous manqué

Transportons-nous en 2001. Je suis enseignant en design d’interfaces dans le nouveau programme de Techniques d’intégration multimédia au collège de Maisonneuve. Je suis en train de monter un cours sur une technique que Jacob Nielsen (je l’avoue, je suis in disciple de Nielsen, ce qui est peu fréquent chez les designers) appelle «Usability». J’insiste auprès de mes étudiants pour qu’ils s’expriment en français, je dois donc donner l’exemple. Direction GDT pour savoir s’il y a un terme approprié en français. Je lance une recherche sur «Usability» et j’obtiens «Convivialité», flanqué des synonymes «facilité d’emploi» et «facilité d’utilisation». Oups! Il doit y avoir une erreur…

Voici la définition d’«usability» par Nielsen:

Usability is a quality attribute that assesses how easy user interfaces are to use. The word « usability » also refers to methods for improving ease-of-use during the design process.

Usability is defined by five quality components:

  • Learnability: How easy is it for users to accomplish basic tasks the first time they encounter the design?
  • Efficiency: Once users have learned the design, how quickly can they perform tasks?
  • Memorability: When users return to the design after a period of not using it, how easily can they reestablish proficiency?
  • Errors: How many errors do users make, how severe are these errors, and how easily can they recover from the errors?
  • Satisfaction: How pleasant is it to use the design?

There are many other important quality attributes. A key one is utility, which refers to the design’s functionality: Does it do what users need? Usability and utility are equally important: It matters little that something is easy if it’s not what you want. It’s also no good if the system can hypothetically do what you want, but you can’t make it happen because the user interface is too difficult. To study a design’s utility, you can use the same user research methods that improve usability.

Voici celle de «convivialité» qu’en donne Antidote:

  • Goût pour les repas qui réunissent plusieurs convives.
  • [SOCIOLOGIE] Ensemble des rapports positifs des personnes d’un milieu social.
  • [INFORMATIQUE] Facilité d’emploi d’un logiciel, d’un matériel.

Je m’insurge, je ne comprends pas… Pourquoi a-t-on greffé une nouvelle signification dans les années 2000 à ce vieux mot pour le rendre porteur de nouveaux concepts qui n’ont pas grand-chose à voir avec les significations du mot d’origine? Il aurait été si simple d’«inventer» le néologisme «utilisabilité», un mot vierge de sens qui aurait été apte à représenter les concepts sous-jacents au terme anglais… Mais, que vois-je? Il y a un lien pour faire des suggestions sur lequel je clique Dre là. Cher madame-monsieur OQLF-GDT, bla-bla-bla… J’en profite pour lancer l’idée d’«apprentissabilité» pour représenter adéquatement «learnability», parce que là, le terme proposé est «simplicité d’apprentissage» et que ça dépasse franchement les bornes. Pourquoi faire simple…

Quelque mois plus tard, je reçois un courriel de l’OQLF dans lequel on me mentionne qu’un ajout sera fait, bla-bla… Ye! Je me précipite, heureux de ma modeste contribution et constate que, malheureusement, l’OQLF a raté l’occasion de rectifier le tir. Toujours est-il que depuis ce temps figure sous «Convivialité», le «quasi-synonyme» «utilisabilité», accompagné de la note suivante:

Bien que souvent utilisé avec le sens de « convivialité », le terme utilisabilité a un sens plus large qui correspond à la « capacité d’un système à permettre à ses utilisateurs de faire efficacement ce pourquoi ils l’utilisent ». Afin que le travail soit fait, le système « utilisable » doit non seulement être facile à utiliser, mais aussi fiable et efficace.

Alors, chers membres de l’association «Utilisabilité Québec», sachez que selon l’OQLF, vous devriez vous nommer «Convivialité Québec»! Ou peut-être «Utilisabilité-quasi-synonyme-de-Convivialité Québec», mais ils doivent savoir mieux que vous, chers professionnels du métier, comment se nomme ce que vous faites… C’est ce qu’on appelle un rendez-vous manqué. J’ai d’ailleurs récidivé, pour la énième fois un courriel pour les inciter (à admettre et) réparer leur erreur (vous pouvez faire de même avec ce lien pour faire des suggestions). C’est normal que le risque de se tromper soit plus grand dans le domaine de la nouveauté, mais il y des limites… on est en 2009 bâzouelle!

La lenteur

Prenons un cas plus récent, Twitter. Ça fait quand même maintenant trois ans que Twitter existe. De phénomène marginal, il est passé peu à peu en vitesse de croisière. En mars 2008, TechCrunch déclare les statistiques suivantes:

  • Total Users: 1+ million*
  • Total Active Users: 200,000 per week
  • Total Twitter Messages: 3 million/day

La Twitosphère utilise toute une gamme de néologismes anglais tels que «Tweeple», «Twestival», «Twittersphere», «Tweet», «ReTweet»… Quand j’ai vu «Tweeple» je me suis dit «Wow! quel beau néologisme. Que la langue anglaise est capable d’absorber des nouveaux concepts et de générer un nouveau mot… Pourquoi ce n’est pas comme ça en français???» Le GDT nous offre «microblogage» et le verbe «microbloguer». Aisni, doit-on dire je te «remicroblogue» à la place de «ReTweet»? Il me semble que l’OQLF et son GDT devraient faire preuve de plus de «qualités de meneur» (quasi-synonyme(s) «sens du commandement» «qualités de commandement» «qualités d’animateur» cherchez «Leadership» dans le GDT) et prendre l’initiative plutôt que d’être en mode réaction. Nous avons pourtant plusieurs réussites comme le mot «courriel», qui est à mon sens, infiniment supérieur au «mel» français.

Langues, sociétés et innovations

Enfin, en y réfléchissant bien, je me suis dit que ce n’était peut-être pas un hasard si les Américains ont des «Tweeples» et nous des «Persomicroblogues» (ceci est une blague) et que nous prenons autant de temps à réagir. C’est peut-être parce que la société américaine est plus ouverte au changement et à l’innovation et que cela se reflète dans le langage. Cela semble si facile pourtant. On a un nouveau concept à nommer, allez hop! On charcute 2 ou trois mots, on en recolle quelques morceaux ensemble et voilà…